LE DEZIGN, LE LANGAGE OUVERT DE LA GEN Z

Née entre 1995 et 2010, la gen Z grandit dans un monde instable marqué par la raréfaction des ressources, la saturation technologique et la transformation des repères culturels.

Alors comment cette génération, à la fois prescriptrice, critique et consommatrice, impacte les lignes du design ?

LE SENS : why & how 

Moins rigide, plus instinctif, le modèle de l’usage et son marché s’adaptent. Le design, dans ce contexte, ne rassure pas, il explore, lui aussi en quête de sens. Ne levez pas les yeux au ciel, si cela ressemble à une remise en question permanente, c’est peut-être parce qu’il y a vraiment matière à réfléchir.
Cette génération du « Why » est attentive à ce qui se joue derrière les formes. Elle se reconnaît dans les démarches qui questionnent, dans les processus visibles et les intentions exposées. Le lien se crée plus aisément avec un designer qui doute et propose à travers un matériau nouveau ou une hybridation. C’est ainsi que le « How », la solution, devient suggéré plutôt qu’imposé.

C’est le cas notamment du Studio Furthermore, dont la collection sensiblement dystopique Moon Rock, explore une céramique lunaire pour interroger l’épuisement des ressources terrestres. Ou encore, de la designer Shahar Livne, qui fait de la pollution plastique un matériau à part entière à travers sa collection spéculative Metamorphism.

Autre élément de pensée, qui s’ajoute brique par brick à ce mouvement du How : le concept porté par Clarisse Merlet avec FabBRICK®, recyclerie innovante qui transforme les déchets textiles en matière première sensible et vertueuse et où l’impact devient le point de départ du projet.

LE STYLE : Hors cadre

Cette nouvelle grammaire esthétique révèle un goût pour la matière, rejetant la perfection à l’emporte-pièce au profit de l’expression individuelle. Loin des classifications historiques ou des catégories figées, la génération Z emprunte aux styles avec liberté. Ce qui compte, ce n’est pas la fidélité au code, mais la manière dont il peut être activé pour se raconter. L’intérieur se scénographie comme un opéra, chaque pièce y occupe un rôle expressif, souvent dissonant mais toujours assumé. Pour répondre à ce désir, l’approche des designers se fait de plus en plus lyrique et assume clairement la subjectivité. Le collectif Uchronia, voix majeure de cette nouvelle scène décomplexée, revendique une approche ultra expressive, combinant couleurs saturées, matières contrastées et repères délibérément anachroniques. Que ce soit pour du résidentiel ou du retail, chaque projet est un terrain de narration ludique et référencé. Dans cette même dynamique, Moroso à présenté à Milan une installation immersive intitulée « Normal Non-Normal », réflexion poétique sur les seuils mouvants de la normalité et du style. Un thème qui entre en résonance avec une génération qui ne se reconnaît plus dans les cadres figés, et préfère repenser les normes que les suivre. Avec cette proposition, Moroso laisse à l’imagination la part belle de l’interprétation, à travers notamment le fauteuil Me-Time de García Cumini, conçu comme un îlot émotionnel à s’approprier, ou les assises Clay, du studio Zanellato/Bortotto, nées d’une recherche autour de la céramique et renouant avec les savoir-faire artisanaux pour en faire les vecteurs d’expression contemporaine.

L’EXPÉRIENCE : le vécu et le vu 

Si les textes qui décryptent les salons semblent plus que jamais traversés par l’émotion, c’est sans doute parce que le design ne s’expose plus, il se vit. Par la scénographie, le designer suggère comment appréhender son travail et fait de chaque élément d’ambiance, le prolongement de son geste initial. 

Génération ultra connectée et sans cesse sollicitée, la Z se retrouve à contempler l’instant avec un design qui réinvestit le présent. 

La Milan Design Week, dans son édition la plus sensible, a fait du mobilier une expérience totale. Hermès en a offert une démonstration à La Pelota, avec une scénographie poétique signée Charlotte Macaux Perelman et Alexis Fabry, où lumière et vide composaient un rituel d’apparition délicat et captivant. 

Loro Piana et Dimoremilano ont, eux aussi, donné corps à l’émotion. Leur installation immersive La Prima Notte di Quiete, présentée dans le Cortile della Seta, brouillait les frontières entre réalité et cinématique puis souvenir et fantasme. Rideaux de velours rouge, moquette léopard, lumières frangées : le décor devenait intime et le silence y vacillait sous la bande son de Nicola Guiducci.

Cependant, la génération Z reste « digital native ». Si le décor immersif permet d’émouvoir, il est aussi un terrain fertile de communication. Ces compositions ne sont pas uniquement pensées pour une expérience in situ, une fois le vécu, le vu s’impose, presque en direct. Ce sont autant de scénographies prêtes à être captées et partagées, pour une génération en quête d’émotions à relayer.

LES TENDANCES : en parallèle plutôt qu’en séquence 

Le rapport au temps se déstructure lui aussi. Les cycles s’accélèrent, les références circulent, s’usent et se renouvellent. La nostalgie n’attend plus une génération : elle se manifeste à peine née, et devient plus que jamais actuelle. Quant au futurisme, il est déjà intemporel. Dans ce nouvel ordre mouvant, les bureaux de style des grands magasins apprennent à composer autrement. La génération Z, à la fois prescriptrice et consommatrice, impose son tempo rapide et intuitif. 

Alors, comment marquer le temps quand tout va si vite ? S’il y a bien un acteur qui semble l’avoir compris, c’est Monoprix. L’enseigne propose des collections capsules, pensées comme des séries limitées, exclusives et accessibles, en collaboration avec les plus grands noms du design français. «  Ces collaborations sont disponibles pendant un mois. On joue la carte de la rareté et ça marche. »* confie Alfred Hawawini, directeur général de Monoprix. Alors oui, en rendant chaque pièce unique, on crée du désir, mais surtout, on répond à une génération qui attend du design qu’il lui ressemble. Avec une rareté aussi singulière que maitrisée, comme son budget. 

Le prochain talent à décliner son univers en pièces signatures ? Garance Vallée, designer et artiste plurielle à la sensibilité décomplexée. Et si je cherchais comment terminer ce post, ce serait peut-être là, dans cette idée d’objets-personnages, comme elle les appelle, qui peuplent son art et habitent, en plus d’habiller, les intérieurs.

À travers ses projets, la designer propose un corpus d’objets qui dialoguent entre l’utile et le sculptural pour composer un ensemble expressif. Parce que c’est de ça dont il est question, quand le design ne se contente plus de répondre à une fonction, mais devient le langage d’une génération qui aime affirmer ses questions.

1* : Alfred Hawawini, Collab’ exclusives, prix maîtrisés… Monoprix s’inspire de Zara pour réinventer le rayon mode et déco, Camille Harel, Capital, 2025

Photographie 1. Studio Futhermore, Moon Rock, DR. Studio Futhermore 2. Shahar Livne, Metamorphism, Image by Alan Boom, Copyrights Shahar Livne Design Studio 3./ 4. Uchronia, Projet résidentiel, Monot, Paris, 2024 5. Uchronia, Installation, Hôtel Uchronia, Maison&Objet 2025, Paris 2025 6. / 7. / 8. Collection de Garance Vallée pour Monoprix, Pied à Terre Oberkampf, 2025

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